Marathon 90/100 : 40 km, (Antalya – Antalya)
J’ai bien galéré, mais voilà, on y est, vous allez pouvoir lever les 2 mains en l’air demain à 6h et commencer à lancer le décompte tant attendu. Ce décompte juste avant la paix et l’amour partout dans le monde.
Oui je sais je devrais faire de la politique !
Cela dit, bien que je ne pourrais pas vous rembourser si la promesse n’est pas totalement accomplie, je pense que nous ne regretterons pas d’avoir essayé.
Alors demain, le 10, je veux l’entendre !
Purée, voilà que je me prends pour David Guetta.
Aujourd’hui, j’ai encore voulu me simplifier la vie. Le même parcours, mais seulement les 10 kms les plus intéressants. Une chouette piste cyclable le long de la Mer. Après le premier aller-retour, énorme pause à l’hôtel où j’établis un record du plus gros petit déjeuner consommé par un européen. On a les exploits qu’on peut.
Le second aller-retour, pour moi, sur le papier, c’était rien. Et pourtant, toujours la même histoire, un gros travail sur le sens pour aller le chercher. Courir des boucles entre 6h et 14h au milieu des vacanciers, on est obligé de reconnaître qu’on est à part.
Quand je me suis lancé sur ce projet, j’étais convaincu que l’histoire s’écrirait naturellement. Qu’elle dirait quelque chose de nous je crois. Que tout ce qui se passerait, agréable, désagréable ou insupportable, au fond aurait un lien avec être plus en capacité de laisser l’amour agir. D’y être attentif comme une petite flamme entre les mains grelotantes d’un homme espérant le soleil.
Que l’important serait d’accepter ce qui est, de le vivre.
Hier soir et c’était la première fois du parcours, j’ai ressenti un très fort sentiment de solitude.
J’ai lutté contre.
Alors il s’est amplifié.
Et puis j’ai fini par accepter de me sentir nul. De peut-être l’être.
Je crois que c’est à partir de là que j’ai pu mieux voir d’où me venait ce sentiment.
Bon ça m’arrive souvent.
“C’est ma force” a la gentillesse de me dire mon art-therapeute qui est payée pour être sympa avec moi.
C’est donc en acceptant de regarder ce qui se passait que j’ai pu voir un peu moins flou. Intégrer d’autres points de vue, notamment ce qui se voit moins.
Et c’est marrant, c’est à ce moment là que j’ai trouvé le restaurant parfait, que j’ai lu vos commentaires qui ont rendu mes yeux humides et surtout que mes enfants m’ont appelé.
On n’a fait que rire. Parce que j’aspirais mes spaghettis en leur parlant, parce que les petits chats si prévisibles guettant le potentiel partage et parce qu’eux, mes enfants. Parce que Nous finalement.
En fait, ici, il y a ceux qui sont en vacances et il y a ceux qui les aident à en profiter. On se baigne, on fait du Jet ski, on est en famille, entre amis, en couple…
La remarque question de ma fille m’est alors revenue : “mais admettons que tu parviennes à arriver là-bas. Admettons que tu réussisses à parler et à être entendu. Qu’est-ce qui te fait croire… (Elle cherche la formule non argotique) Qu’ils ne vont pas s’en fichent ?”
Franchement, comment lui vient cette lucidité. Souvent je songe à quel point on oublie la densité d’émotions, d’informations qui nous traversent quand on est enfant.
J’ai repensé à sa question là parce que moi-même, dans cette ambiance de joie entre les scooters, les bières et les bikinis, cela me paraissait extrêmement rabat joie rien que le fait que quelqu’un puisse deviner la raison de ma présence ici. Du coup, ça devait se voir, que j’avais presque un peu honte d’être là.
J’étais de nouveau le gars assis lors de la boum et qui n’a pas le mode d’emploi.
Comme elle avait insisté, ma fille, je lui avais dit : “toi tu t’en fiches que je fasse ça ? Ou tu trouves que ça a du sens ?”
“Ben oui, on trouve ça incroyable !”
“Bon ben moi aussi. On est 3, c’est déjà pas mal !
Et puis, je ne pense pas du tout que des gens normaux s’en fichent de faire la guerre. Et encore moins d’aimer en réalité.
Simplement, parfois on peut se retrouver dans des situations désespérantes. On voit pas comment faire autrement”.
Voilà, je suis capable de lui expliquer ça, mais là, dans cet environnement, je me sentais complètement à côté de mes pompes.
Il faut aussi imaginer que j’ai traversé tellement de campagnes où les gens vivent de presque rien, en travaillant beaucoup, qui se connaissent tous et qui sont dans une immense joie dès qu’une nouvelle personne arrive.
Là, le matin à 6h, je vois les hommes saouls, allongés dans la rue, le plastique qu’on balaie dans les caniveaux qui vont à la Mer. Pour faire propre. L’américanisation des désirs, de l’ostentation, l’arrogance de ces promesses qui ignorent les frustrations et les injustices qu’elles génèreront.
Bien sûr, à tout moment, des sourires, des vrais moments de partage au milieu du brouhaha qui parfois sont aussi une sublime fête populaire. Simplement, un ensemble d’éléments m’ont conduit hier soir à me sentir en décalage, à douter du sens.
Et puis ça s’est remis. Ce périple, c’est finalement pour moi comme un travail. Ma vie habituelle, privée, je la reprendrais moi aussi bientôt. C’est évidemment elle le plus important.
Là, je vais aller jusqu’au bout de ce qu’il m’est permis de faire. Parce que si ça arrivait à mes enfants, je voudrais qu’il y ait des hommes qui se lèvent y compris en traversant des terrains de camping nudistes où des personnes, des bières à la main, jouent aux boules (je ne pense pas que vous ayez besoin que je précise).
De ce côté de la Méditerranée, on profite de la vie, d’une certaine manière. A 600 km de là, ou à 10 marathons pour les plus étranges d’entre vous, on espère parfois que la vie s’arrête. Et d’autres fois on rêve juste de la joie que doit être une vie sans avoir peur.
PS : mon plan n’est pas du tout clair pour le décompte.
Dernier marathon à Antalya, puis bus j’espère dans l’après midi afin de rejoindre Alanya. Marathons ensuite direction le port de Tasucu. Mais je serais obligé je pense de compléter avec du stop pour gérer le temps.
Bien motivé de marathoner à Chypre.
Le planning est calculé pour un marathon tous les jours, dont le dernier, le 100e, quelque part entre Israël et la Palestine. On m’a parlé d’un couloir (Philadelphie) mais ça me semble un peu chaud. N’hésitez pas si vous connaissez des organisateurs.
PPS : je suis à +47,5 km. 90 marathons sur 100 en 92 jours.
PPPS : Merci infiniment de votre présence et de vos encouragements.
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.