Marathon 99/100 : 5 km en marchant. Ça compte ? (Chypre, Larnaka – Israël, Tel Aviv en avion puis Tel Aviv – Ashdod en bus)
Hier soir, je me sentais à 2 doigts de craquer nerveusement.
Devant Pascale j’ai dit ce qui me venait. La longue journée, l’énergie immense que j’ai déployée, qui m’a surprise moi-même et les si dérisoires résultats. Alors que je n’ai aucun doute de la valeur de ce projet. Par les temps qui courent. C’est triste l’impuissance ai-je faiblement sourit.
Elle comprenait. Nos échanges étaient une immense consolation. Une joie. Celle d’accepter ce que nous sommes. Celle d’avoir essayé.
Mais dans la nuit, la boule lourde dans le ventre est revenue. Me voilà incapable de retenir mes larmes, pas davantage que je ne parvenais à complètement me les expliquer. Il y avait plus que l’impuissance, plus que l’inquiétude pour nous. Quelque chose d’une grande douceur qui couvait derrière tout cela.
J’ai écrit cette nuit ce que je voudrais réussir à dire à un soldat. Ce que l’on pourrait dire à chacune des personnes qu’on aime.
Chaque mot est un risque. On peut si facilement blesser, se tromper.
Je vois le chef d’un peuple qui d’un côté reproche que l’autre camp, où ils sont tous les méchants sanguinaires, ne fait pas les efforts pour la paix et de l’autre, annonce vouloir tous les tuer. Il le fait d’ailleurs. A tour de bras.
Combien de fois les historiens ont rêvé de la désobéissance des hommes. Pour arrêter comme ça, d’un claquement de doigts, la folie consistant à obéir à quelques hystériques dont les blessures de l’âme sont ouvertes.
Le gros costaud terrorise ainsi la cour. On a beau savoir que dans l’histoire, le gros costaud finit toujours par tomber. Parce qu’il fait une erreur grossière, parce qu’il s’accroche trop à son pouvoir, parce qu’il ne peut pas tout maîtriser. Parce que la vie est ainsi.
Tu peux piétiner la terre, tu finiras quand même enseveli par elle.
Mais en attendant, il faut bien admettre les conséquences pour des successions de générations. Regarder ces parties immondes de nous est difficile mais c’est une piste de prévention du cancer qui finira par nous revenir en boomerang.
Pascale devait prendre l’avion quelques heures avant moi. Elle est appelée mais cette fois c’est elle qui craque. Elle était seule face aux gardes, face au monde absurde et dangereux. Le plongeoir était bien trop haut, elle recule.
Je la trouve merveilleuse dans cette vulnérabilité. Dans sa capacité à vouloir l’impossible et attentive à sa raison, celle de ses proches. C’est beau de savoir être juste pour soi.
Pour moi, c’est différent, tout est facilité. Les contrôles, les papiers, les horaires.
La vie je crois n’a fait que me préparer à me retrouver dans cet aéroport. Pour ce projet.
J’ai beau penser n’être qu’un Don Quichotte se battant en vain contre les moulins à vent, je suis poussé à le faire.
Je m’observe le vivre.
Pascale me confie, juste avant de se séparer, 6 merveilleux petits coeurs en verre. “Pour les remettre à ceux pour qui ce sera important” annonce t elle comme une prière.
Elles sont comme ça les filles. Elles ont l’art des cadeaux. Elles savent ce que ça fait à l’autre d’être considéré à travers le don d’un bel objet. A travers le temps qu’elles ont pris pour dire je t’aime avec grâce.
L’avion est plein. C’est rassurant. Normalement on ne se précipite pas dans un guet appens. Mais nous sommes seulement 3 européens. Un autre couple étudiant à Haïfa. Les autres passagers compatissent. Et moi.
Je ressens ma présence comme incongrue. A leurs yeux je suis venu librement.
D’en haut, aucune trace de tensions, de destructions. Nous survolons Israël.
En parlant sur place à quelques personnes je sens l’immense tabou autour de ce territoire au sud de leur pays.
Quand j’ose, à mots couverts essayer d’avoir des informations pour ma route de demain, on ne me regarde plus comme un fou de manière amusée comme chez nous. Mais comme quelqu’un de dangereux, d’un peu énervant même, si j’insiste. Comme quelqu’un qui dirait “oh regarde, il y a un cadavre dans ton jardin. Tu étais au courant ?”
Mais ce qui est le plus présent, ce sont les plages, les terrasses, la gentillesse des gens.
La vie normale comme partout dans le monde mais avec l’argent et le soleil en plus. Et dans la même scène, dans le ciel où les nuages ne respectent aucune frontière, le défilé des hélicoptères qui rentrent à 19h de “là bas”.
Et puis il y a ce dechirement. Ces jolies jeunes filles de 18 ans en treillis au milieu de la cité moderne de tel Aviv. Comme si on utilisait des pétales de rose pour nettoyer un moteur.
Dans le bus, Isabelle parle français. Elle est caissière, vit depuis 22 ans ici. Elle s’y plaît beaucoup. Elle se sent en sécurité. Bon le 7 octobre, il y avait un peu de perturbations.
Je pense en l’écoutant aux portraits des otages dans le hall de l’aéroport. Ces visages, ces histoires passées d’insouciance à martyrs. Justifiant désormais toutes les colères.
Que vivent ils à l’heure où j’écris ? Sont-ils vivants ? Pourquoi eux ?
J’ai un esprit tordu. Je me pose cette atroce question. “Et si l’homme qui ment, le chef du pays, avait facilité cette attaque ? Pour avoir un mobile”. Le gouvernement espagnol a fait ça contre l’ETA. C’est aussi une technique bien connue pour casser un mouvement social dérangeant. On paie des blacks Bloc, l’opinion publique exige alors l’ordre, quitte à la violence. Quitte à admettre des restrictions de libertés.
Isabelle trouve que la vie quotidienne reste tranquille. Et elle conclut : “ils ne veulent pas de la paix. On n’a pas le choix. Les gazaouis pouvaient venir travailler ici”.
Là je pense à la petite sœur assassinée par une bombe, aux jeunes hommes que j’ai vu l’année dernière, régulièrement humiliés par les contrôles des soldats, à quémander quelques heures de travail, avant que la frontière se ferme inopinément. Cette soumission à ceux qu’ils considèrent comme l’envahisseur.
Cette boule dans mon ventre, c’est l’écoeurement de ce que nous sommes. Nous sommes des merveilles, mais là j’ai l’impression d’aller sans cesse vers lever le voile sur le pire de nous mêmes.
Et je m’inclue. En étant par exemple un simple consommateur d’huile de palme balayant d’un revers de main la destruction de la maison de l’ourang outan, également poumon du monde. En n’ayant pas réagit à tellement de décisions. Parce que je n’étais qu’une goutte dans l’océan, parce que c’était le plus simple, le plus confortable pour moi de me croire impuissant.
Nous ne voulons plus voir, plus nous en occuper. Juste avoir quelques petites traces ressemblant à l’amour. Même des malfaçons visibles permettent de tenir. Nous satisfons. Les autres font ça. l’Amour c’est dans les contes de fées.
Dans mes larmes, il y avait tout ça, mais il y avait aussi quelque chose que je n’avais jamais vécu à ce point.
La présence de cette force qui malgré tout ça, souffle tout, sur son passage. Malgré moi, je suis engagé sur des rails cherchant la Vérité.
Cette présence elle me dit “nous allons le faire. Fais-nous confiance ! Et tu verras ce qu’est la vie”.
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“J’ai fait un long chemin. J’en avais besoin.
Il me mène à la confiance en toi. À laquelle je ne parviens jamais tout à fait.
Au fait que tu n’aies pas besoin de moi pour aimer.
Chaque fois, tu le fais seul.
C’est un chemin dur et rude l’Amour, dans la durée.
Et je ne peux m’empêcher de regarder la beauté infinie que tu es.
Celle qu’en moi, je ne peux voir que par ton reflet”.
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.