Marathon 35/100 : 53 km, (Klopeiner see – Guesthaus House MM quelque part au dessus de Gotina)
Ça partait très bien. Au bout de 15 min je commençais à courir. Et au bout d’une heure je m’étonnais de ne plus sentir de problèmes au talon droit.
Une personne qui se reconnaîtra m’a contacté pour me proposer son aide à distance hier soir. Habituellement, bien que je crois que la cause profonde d’une blessure est souvent à chercher dans l’émotionnel, c’est toujours grâce aux soins techniques de Laurent Viaud que le problème a été réglé.
N’ayant pas Laurent sous la main, j’ai massé, j’ai aussi bu une bière de 50cl, sans penser que ce serait LA thérapie mais sait on jamais…
Bref, le soin à distance a eu manifestement un grand effet.
Me voilà donc à retrouver le plaisir de courir…
Alors, bien que n’ayant pas déjeuner, je suis confiant pour aujourd’hui.
J’arrive ainsi assez vite au km 23 (9h20) où j’avais repéré un hôtel restaurant. Rien d’autre avant le km 40. Stupeur lorsque je constate que le parking est vide. J’appréhende. Si c’est fermé, ça va d’un coup se compliquer…
J’appuie sur la lourde poignée de la porte tel Indiana Jones devant un sanctuaire…
Et là, le coeur de l’Autriche s’ouvre à moi. La serveuse, par ailleurs d’une beauté à couper le souffle me sourit. Mais surtout elle me propose des gâteaux aux abricots.
J’en dévore 2 et puis, sans doute étonné de me voir sans moyen de locomotion au bout de son Autriche natale, elle finit, intriguée, par me demander d’où je viens.
La nouvelle se répand alors rapidement dans le restaurant et c’est comme ça que je rencontre les délicieux propriétaires Peter et Sabine.
Ils sont touchés par mon histoire. Ça se voit dans leurs yeux, dans le regard de Sabine sur le monde aussi. Elle me parle de l’essentiel : ses enfants. Pour elle, il faut agir pour les autres, c’est comme cela qu’on prendra soin des enfants.
Peter m’offre mon petit déjeuner. Comme pour me dire qu’il parie que je peux réussir.
Et puis il me présente, les yeux pleins de fierté, sa maman. Elle dit que son sport à elle, c’est la cuisine. Elle a 81 ans et il y a un service à préparer pour ce dimanche.
Il me montre aussi les moutons qu’il élève. Manière de dire que prendre soin de ses clients c’est leur garantir ce qu’ils mangent. Et il sort un livre d’or. Comme un magnifique grimoire à la couverture en cuir. Il tourne les pages. A la recherche manifestement d’une chose qui devrait m’étonner.
Il y a des écritures gracieuses qui prennent une page entière.
Et il y a cette toute petite phrase qu’il me montre. “Très bon accueil et bon repas. Merci”.
Cette petite phrase est signée de Brigitte et Emmanuel Macron.
“Noooon”, réagis-je en connaisseur.
Sabine m’explique. “Un an avant qu’il ne soit président, il est passé en vélo avec sa femme. Il y avait une douzaine de personnes autour d’eux”.
Ok je leur dis, il y a eu Emmanuel Macron et très logiquement, il y a maintenant Antoine Vernier chez vous. Vous êtes un restaurant qui compte !
Il me demande d’écrire dans leur livre mémoire. Je remplis une page entière pour leur dire qu’ils m’ont offert de croire que nous pouvons réussir là où même les présidents en vélo déraillent.
C’est là, sur leur terrasse que je reçois la copie de la lettre que Joël a envoyé à l’ambassade de Syrie à Paris. Pour plaider ma cause.
Il y a cette partie qui me bouleverse : “(…) avec le fol espoir d’arrêter la guerre. Il se sent investi de cette mission, il ne sait pas vraiment pourquoi, mais il doit le faire et rien ne semble pouvoir l’arrêter. (…)”
D’autant plus que le matin, je me disais, si un enfant, en Palestine ou en Israël et désormais au Liban apprend ce que je fais, que penserai t-il ?
Nous on se demande jusqu’où je peux aller, qui je vais rencontrer, les problèmes que je vais avoir ou pas.
Mais j’ai aimé pensé que lui il croirait à la seule chose qui compte à ses yeux, que j’arrêterais la guerre.
Que je pourrais toucher des armes et en faire jaillir des fleurs et l’amour de ses parents.
Pour cette simple raison, il croirait que je peux faire cela. Parce que “l’espoir fait vivre”.
Je vais essayer. Je repars. Pour rejoindre la Slovénie.
Pour la première fois, en franchissant une frontière, je sens un vrai changement. C’est un pays qui me plaît immédiatement bien que je sois enfin déstabilisé.
Est-ce la rivière impétueuse, la Drave que je vais longer longtemps ? Les forêts plus sauvages ? Le slovène qui ne s’est pas soumis à la langue du monde, l’anglais ? Les influences slaves ?
Je m’arrête au km40 à Dravograd. Convaincu qu’il ne me reste qu’une grosse Demi heure de course. Pour 10 €, me voilà aux prises avec un gigantesque croque monsieur, un banana Split d’anthologie et un demi litre de limonade.
En repartant, je vois les agents de police une seconde fois, avec leur Radar mobile.
Je ne sais pas pourquoi, l’idée me traverse d’être pris en photo avec eux.
C’est là que Bekir m’interpelle. Par curiosité.
Je commence à raconter. Mais pour la première fois à quelqu’un portant un pistolet. J’aime lui dire cette phrase “je crois que l’amour est la meilleure voie pour régler durablement les conflits”.
C’est plutôt cette histoire de Marathons qui l’impressionne. Il n’en revient pas. C’est lui qui me propose alors qu’on se prenne en photo.
Je le vois ensuite aller fouiller dans le coffre de leur voiture… Il cherche quelque chose pour moi lui aussi…
A quoi s’attendre ?
Une bouteille d’eau.
Ça pour moi c’est une merveille. Arriver dans un nouveau pays et recevoir des autorités une bouteille d’eau en signe d’encouragement et d’amitié, je me dis que l’on ne sait pas jusqu’où une idée peut aller.
Mais après ça se gâte…
Google me propose un raccourci pour ma chambre d’hôte.
Le raccourci s’est terminé par une traversée de champ d’orties, des franchissement de torrent, de forêts et de ronces avec un téléphone au GPS agonisant.
J’ai mis 3h30 à faire 5 km. Mais curieusement, je me suis amusé comme jamais.
Et puis je rencontre Anita. C’est elle qui gère l’hébergement pendant l’absence du couple propriétaire parti en vacances.
Anita elle a eu 2 fractures de vertèbres il y a 2 ans. Elle a très mal au cou depuis. Ça se voit que la journée à nettoyer les chambres, le linge, accueillir, l’a usée.
Mais elle doit travailler pour gagner ses 600 € par mois.
Elle m’attribue un appartement gigantesque avec la douche que j’attendais… Et cette vue incroyable sur la vallée.
Elle regarde mon état, sans jugement, et elle me propose de laver mon linge. On partage une bière, un peu de nos vies. Comme on peut. J’ai hyper faim. J’ose lui dire qu’à 5 km de la première ville, ça va être un peu compliqué pour moi…
Elle m’ouvre alors son frigo. Me montre même une tablette Milka.
Elle refuse mon argent…
J’aimerais la voir sourire. Juste parce que je suis touché par sa gentillesse.
Une pensée me vient : Est-ce que vraiment si la guerre là bas s’arrêtait. Même grâce à l’amour, est-ce que cela changerait vraiment quelque chose pour elle, ici ?
…Parfois on se sent tout petit.
Mais j’ai relativisé, si l’on peut dire, en regardant l’actualité ce soir. Ceux que l’on dit grands, m’ont paru tellement exagérer le sérieux de leur rôle dans la gigantesque pièce de théâtre.
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.